C’est toujours assez insupportable. Au début ça ressemble à
un voyage de classe et l’on s’arrête fréquemment à ses aires d’autoroute, perdus
dans les forêts vides qui entourent nos autoroutes sans fin. Tout semble aller
si bien dans nos vagues souvenirs, des photos floues comme d’horribles mises en
scène d’une pièce de théâtre à l’initiative de vrais enfants qui ne savent
rien, ne veulent rien savoir et crient et respirent sous de mauvais
projecteurs. Il y a du rire, de la musique et on attire vaguement l’attention
par quelque remarque qui pourra marquer l’attention jusqu’à plus de 24 heures.
C’est un record personnel, ça ressemble à l’apogée d’une courte vie, un
objectif trop vite fixé, une superficialité latente qui n’attendait que ça pour
se déclarer. Tout allait bien et puis ça continuait, avec ses hauts et ses bas,
comme la totalité de notre vie, c’était qu’une question de temps avant que les
choses se fixent, que les choses dérapent, que les choses partent si mal et
déraillent. Le train de la pensée qui déraille dans les aires d’autoroute, ça s’est
juste fait tout doucement, presque délicatement quand on y repense. Les
évènements qui nous bousculaient alors ne sont plus qu’un vague enchaînement de
détails de la vie et tout continuera avec, jamais sans. C’est comme ça qu’il faut faire,
même s’il y a toujours ce truc du passé qui te hante la nuit et que les
fantômes ne meurent jamais vraiment, il faut juste aller retrouver le bus avec
les autres et continuer comme ça, même quand le chauffeur repasse en boucle ses
vieux CD. Il fait pareil avec les nouveaux de toute façon. Les gens t’ont
entouré et oppressé de leurs paroles aux accents outrageusement réalistes. Mais
rien n’était jamais que mensonge et le noir réconfortant de la nuit t’accueille
peu à peu en son sein à la façon dont on aime que les choses se fassent, sans
que rien ne se passe, juste se laisser flotter dans un univers immatériel, là
où les cris des enfants se perdent dans la nuit, là où il ne dépend plus que de
nous pour retourner voir les lumières. On apprend à apprécier les lumières
blafardes des stations essence, leur charme familier, la machine à café qui
marche mal et les reflets infinis et verdâtres dans les vitres sales des
toilettes. Ce n’est plus que le début d’un voyage d’affaire et l’on s’arrête
aléatoirement à ses aires d’autoroute, au ras des grandes forêts qui
constituent notre quota de paysage défilant à nos côtés tous les jours. Comme
un compagnon inconnu, l’arbre comme le motif infini autour de nous, au-delà des
routes et des machines à café, bordant les banlieues, inconnu silencieux. L’agitation
n’est qu’un détail futile duquel nous avons appris à nous méfier
tranquillement. On baisse la tête, on avance, dehors il fait frais et il y a les
phares des machines qui, l’espace de quelques secondes, nous font nous
interroger sur la véritable destination de notre voyage. On apprend à apprécier
les camionneurs silencieux qui prennent leur café, la radio locale et les yeux
fatigués au-dessus des cernes violacées, dans le miroir sale des toilettes.
Mais que contiennent les grandes forêts de notre enfance, à qui
appartiennent-elles sinon à notre futur ? Maintenant ce n’est que la nuit,
le soleil se lèvera-t-il jamais.
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